Le dossier [HISTOIRE]
d’Alexis mis à jour le 21 avril 2014 :
1945-2014 :
Le Sahaj marg a 70 ans…
Il s’est répandu partout sur la planète. Déculturé,
déterritorialisé et standardisé, il a mal résisté à l'évolution générale vers
la mondialisation et l'individualisme. L’histoire officielle, passant de Lalaji
à Babuji puis Chari… et bientôt Patel, constitue une vaste fresque historique
de plus d’un siècle, linéaire et fluide mais complètement fantasmatique.
Cette légende fantasmée cache en réalité des origines
religieuses multiples, un spiritisme teinté de paranoïa et des conflits de
succession permanents. Une histoire non pas linéaire et fluide, mais heurtée,
saccadée et violente…
La fabuleuse
épopée du Sahaj Marg
A la fin du dix-neuvième siècle, Lalaji rencontre un maître
soufi. Ensemble, ils fondent un enseignement syncrétique entre hindouisme et
soufisme, dans le nord de l'Inde. En 1945, sur ordre posthume de Lalaji, Babuji
fonde la Shri Ram Chandra Mission et la méthode du Sahaj marg. Une fois
débarrassée de ses références soufies, celle-ci se répand jusque dans le sud de
l'Inde. Arrivé en 1964, Rajagopalachari réalise une ascension fulgurante au
sein de la Mission. En 1982, Babuji malade et vieillissant renie Chari et
contre toute attente désigne son fils pour lui succéder.
Aussitôt après sa mort, Rajagopalachari tente de s'imposer à
la tête du mouvement grâce à l'appui des Occidentaux, tandis que les partisans
du fils de Babuji continuent de développer le Sahaj marg depuis son fief
historique dans le nord de l'Inde, à Shahjahanpur. En 1999, Rajagopalachari
rentre célébrer le centenaire de la naissance de Babuji en inaugurant le
somptueux ashram de Manapakkam, à côté de Chennai. Fort de ses troupes
d'adeptes occidentales et du pouvoir financier qu'elles lui confèrent, il
revient triomphant dans son pays. Mais pour réussir ce tour de force, il a largement
adapté et modifié le produit spirituel de Babuji. Il a exploité sans limites
les plus bas instincts de ses troupes. Il est devenu un gourou autocrate, mais
les résistances se multiplient…
D'abord un
enseignement syncrétique issu de l'hindouisme et du soufisme (1891-1930)
A la fin du dix-neuvième siècle, en 1891 très exactement, un
jeune hindou du nom de Ram Chandra Lalaji de Fatehgarh rencontre le maître
d'une lignée soufie indienne. Cette rencontre entre un hindou et un musulman
n'a rien d'exceptionnel dans cette région du nord de l'Inde, l'Uttar Pradesh,
très peuplée et fortement islamisée. Leur amitié est beaucoup plus surprenante
en cette époque politiquement sensible où les tensions interreligieuses entre
communautés s'exacerbent.
Hazarat ou Maulana Shah Fazal Ahmad Khan de Raipur
(1857-1907), surnommé plus simplement Hujur, est le guide spirituel de la
Tariqa Mazahariya. Cette ramification de la confrérie soufie de la
Naqshbandiya, créée par Mirza Mazhar Zanzana (1701-1781), est durablement
implanté dans l'Uttar Pradesh. C'est déjà une sorte de syncrétisme entre les
principales confréries soufies indiennes et certains enseignements
traditionnels hindous. Hujur enseigne déjà indifféremment aux musulmans et aux
hindous. Mais il va aller encore plus loin dans cette voie avec son disciple
Lalaji. Ensemble, Ils mettent en évidence les équivalences entre les
spiritualités soufie et hindoue et en réalisent une nouvelle synthèse. Leur
objectif, totalement à contre-courant de l'histoire immédiate dominée par le
repli identitaire face à l'envahisseur britannique, est d'abolir les frontières
interreligieuses.
Le fruit de leur travail établit que la responsabilité
principale de l'évolution spirituelle de l'aspirant repose dans les mains de
son maître, à condition qu'il entre en contact quotidien avec son gourou par le
biais de la méditation. Le maître déverse l'énergie divine dans le cœur de son
disciple en le libérant de ses pensées impures. On retrouve des bases du
Santmat posées par Kabir au quinzième siècle, comme des éléments des onze
principes de la Naqshbandiya qui prônaient déjà la méditation silencieuse du
cœur et le souvenir constant de la présence divine.
A la suite d'Hujur, Lalaji devient le premier guide
spirituel hindou de la Tariqa Mazahariya, sans jamais se convertir à l'Islam.
Son enseignement s'inspire de plus en plus du Santmat de Kabir et de ses
successeurs au fil du temps. Ainsi, plusieurs de ses disciples fondent le
courant des Ramashram Satsang, sorte de syncrétisme entre soufisme et Santmat,
qui se répand dans le nord de l'Inde.
En 1930, un an avant sa mort, Lalaji désigne son propre fils
Jag Mohan Narain pour lui succéder à la tête de l'ordre, contrairement au
souhait d'Hujur de voir y accéder le neveu de Lalaji, Brij Mohan Lal Dadaji. Il
crée ainsi pour la première fois au sein du soufisme un lignage héréditaire,
qui porte le nom de Tariqa Ramchandriya.
NaqshMuMRA (Tariqa Ramchandriya soufie des descendants de
Lalaji), Golden sufi center (Tariqa soufie issue du neveu de Lalaji), Ramashram
satsang et Akhil bhartiya santmat satsang (deux syncrétismes entre soufisme et
santmat) sont tous encore aujourd'hui des mouvements spirituels qui
revendiquent un héritage direct de Lalaji et de sa famille.
Quelques liens
Le Sahaj Marga,
un raffinement du raja-yoga (1931-73)
En 1945, non loin de Fategarh, Ram Chandra Babuji de
Shahjahanpur s’auto-proclame unique héritier spirituel de Lalaji.
Différentes personnalités décédées depuis longtemps
s'adressent à lui dans des rêves qu'il appelle des intercommunications, tels
Lalaji, les soufis Hujur et Baqi Billah ou les hindous Swami Vivekananda,
Ramakrishna et Bouddha lui-même. Ils demandent à Babuji de créer l'enseignement
du Sahaj Marga (easy way, la voie facile) et de fonder l'organisation Shri Ram
Chandra Mission (SRCM) à Shahjahanpur.
Babuji a réellement rencontré Lalaji trois fois en tout et
pour tout. Le reste est le fruit d'une intercommunication qui débute au
lendemain de la mort de Lalaji en 1931 puis s'interrompt pour reprendre à
partir d'avril 1944. Entre temps, il fréquente différents mouvements issus de
l’enseignement de Lalaji comme le Ramashram satsang du Docteur Chaturbhuj à
Etah et celui de Shri Krishna Lal à Sikandrabad. Il rêve aussi qu'il se rend à
Kanpur, siège de la famille de Raghubal Dayal Chachaji, le frère de Lalaji et
père de Brij Mohan Lal Dadaji. D'après son journal, Babuji considérait qu'il
était entouré de concurrents et d'ennemis. Ceux-ci auraient même tenté de
l'empoisonner et de l'assassiner. Réalité ou délire paranoïaque ?
Les parents du jeune Babuji se sont d’abord offusqués qu'il
fréquente des musulmans. Lui-même ensuite, avec son livre "Efficacy of
Rajayoga in the Light of Sahaj Marg" publié en 1947, effectue un
recentrage stratégique de son enseignement autour du raja-yoga et de Lalaji,
effaçant ainsi toute référence au soufisme. Il est vrai que l'indépendance et
la partition sont au cœur de l'actualité indienne du moment. Plus tard, en
1963, il exprime même l'opinion que le Sahaj Marga a remplacé les différentes
confréries soufies qu’il juge dépassées.
Raffinement du raja-yoga, l'enseignement spirituel du Sahaj
Marga élimine les difficiles étapes préliminaires à la méditation, le rendant
ainsi plus facile et praticable pour notre époque. Les dix commandements
édictés par Lalaji à Babuji précisent que la pratique comporte aussi une prière
avant le lever du soleil, ainsi qu'une repentance pour les péchés commis au
coucher du soleil. Sans oublier d'avoir un coeur empli d'amour et de dévotion,
et que le but est d'atteindre l'unité avec Dieu.
Babuji débute son enseignement spirituel dans l'Uttar
Pradesh, où il s'allie Kasturi Chaturvedi qu'il déclare bientôt "sainte du
Sahaj Marga". Mais sa notoriété déborde rapidement du nord de l'Inde et se
propage à l'ensemble du pays. Des hommes du sud le rejoignent, tels Raghavendra
Rao au sud-ouest (Raichur, Karnataka), le Docteur KC Varadachari au sud-est
(Tirupati, Andhra Pradesh), puis Parthasarathi Rajagopalachari plus au sud
encore (Chennai, Tamil Nadu).
La rencontre entre Babuji et le Docteur Varadachari se
transforme vite en une profonde amitié. Titulaire de la célèbre Chaire de
Vivekananda à l'Université de Madras, ce professeur de philosophie crée le
Sahaj Marg Research Institute en 1965 et contribue ainsi largement à la
diffusion du Sahaj Marga auprès du grand public.
Babuji nomme des précepteurs, chargés de servir de canal de
transmission entre lui et ses disciples. A la fin des années soixante, certains
d'entre eux partent à l'étranger et commencent à diffuser le Sahaj Marga.
Babuji effectue son premier voyage en Occident en 1972, accompagné de
Parthasarathi Rajagopalachari. Et la Shri Ram Chandra Mission s'agrandit.
Le Docteur Varadachari alerte Babuji sur les risques de
dérives de l'enseignement dues à son expansion dès 1970, mais il décède l'année
suivante. Et Babuji vieillit et fatigue lui aussi, il a 75 ans en 1974 quand il
est hospitalisé à Lucknow. L'année précédente, Kasturi Chaturvedi, Raghavendra
Rao et Parthasarathi Rajagopalachari lui ont proposé de le seconder dans son
travail spirituel. Kasturi s'occuperait du nord, Rao du sud et Rajagopalachari
de l'extérieur de l'Inde, mais Babuji a refusé et il continue inlassablement de
voyager.
Quelques liens
- [Babuji]
- [Une
personnalité TRES spéciale] - [Son
enseignement] - [Sa
famille] - [Ses
nombreux disciples]
Le Sahaj Marg,
enjeu de pouvoir (1974-84)
Babuji a d'abord préparé son grand ami le Docteur
Varadachari à sa propre succession. Mais ce dernier est mort bien avant lui,
dès le 30 janvier 1971, le laissant dans l'embarras. Il se rapproche alors de
Rajagopalachari devenu son disciple en 1964, le nommant secrétaire de la
Mission en 1970, et tout semble bien aller entre eux. Mais soudain, tout
bascule en 1982. Babuji lui fait de graves reproches dans un courrier en date
du 6 avril et il nomme un autre secrétaire à sa place le 28 juin.
En septembre 82, très malade et affaibli, Babuji écrit
depuis Paris que certains complotent pour accaparer les biens de la Mission. Il
accuse Rajagopalachari d'avoir tenté de l'empoisonner à de multiples reprises
depuis huit ans. Il ajoute enfin que celui-ci se présente aux disciples
occidentaux comme le futur président de la Mission, alors qu'il vient de nommer
secrètement son propre fils pour lui succéder. Réalité, paranoïa ou bien
sénilité ?
A Paris, Babuji est malade. Il délire et ne peut marcher
seul. Le médecin qui l'accompagne confirme qu'il n'aurait jamais dû
entreprendre ce voyage vu son état de santé. Le français André Poray en profite
pour lui voler la vedette. Dans son coin, Rajagopalachari susceptible broie du
noir et devient taciturne et agressif.
Babuji décède le 19 avril 1983. Lors du rassemblement qui se
tient le 10 juillet suivant, deux prétendants se manifestent. Le fils aîné de
Babuji, Prakash Chandra, présente la candidature de son fils, Sharad Saxena, tandis
que Parthasarathi Rajagopalachari présente une lettre de nomination datée du 23
mars 1974. Le comité de travail renvoie sa décision au mois de février suivant.
En février 84, Rajagopalachari profitant de l'anniversaire
de la naissance de Lalaji va à Shahjahanpur, mais on lui fait comprendre qu'il
n'est pas le bienvenu et il doit se retirer de l'ashram. Le comité se réunit
donc en dehors de sa présence. Lors de sa réunion des 6 et 7 février, le
nouveau secrétaire général SA Sarnad propose que le comité soit présidé par son
doyen, PC Chaturvedi. Les deux candidatures de Sharad et Rajagopalachari sont
rejetées pour tromperie. Le comité précise que la lettre de Rajagopalachari a
été oblitérée à une date antérieure à celle qui figure à l'intérieur et que
Babuji avait porté plainte pour le vol de quatre lettres à entête de la SRCM.
Sarnad présente alors au comité la lettre de nomination secrète qu'évoquait
Babuji et qui désigne un autre de ses fils, Umesh Chandra Saxena, datée du 16
avril 1982. Le comité l'examine, la valide et déclare Umesh Chandra président.
Sarnad est chargé de diffuser une circulaire pour annoncer sa nomination qui
est entérinée en assemblée générale devant 982 membres le 8 février 84.
Selon les partisans de Rajagopalachari, Kasturi et le
canadien Donald Sabourin ont été les témoins de sa nomination. Le fils du
Docteur Varadachari, K.C. Narayana ajoute que Babuji lui a annoncé en 1979
qu'il aurait à travailler en étroite relation avec Rajagopalachari après sa
mort. On dit aussi que Babuji déclarait toujours en 1980 à Munich qu'il lui laisserait
le pouvoir. Et tout le monde s'accorde à dire que les enfants de Babuji ne
participaient pas aux méditations collectives hebdomadaires et n'ont jamais
montré aucun signe d'intérêt pour les choses spirituelles.
Mais Parthasarathi Rajagopalachari, cet homme du sud, fumeur
de cigarettes américaines très occidentalisé, n'est pas du tout apprécié par
les seniors précepteurs. En 1981, deux d'entre eux, Raghavendra Rao et
Ramachandra Reddy, ont effectué une tournée non officielle aux Etats-Unis en
compagnie d'Umesh Chandra Saxena, qui n'est pas même précepteur. Les
détracteurs de Rajagopalachari affirment aussi que Babuji l'a destitué de
toutes responsabilités et ils ajoutent qu'il a accompagné Babuji sans son
accord dans sa dernière tournée en France, déclarant qu'il serait président
avant la mort de Babuji à des disciples danois.
Alors, la lettre de nomination de Rajagopalachari est-elle
une contrefaçon ? Babuji a-t-il démis Rajagopalachari de toutes ses fonctions ?
L'accuse-t-il à juste titre des pires atrocités ou bien son courrier de Paris
n'est-il que le fruit du délire et de la sénilité ? Pourquoi sa famille
a-t-elle commencé par présenter la candidature de Sharad en juillet 83 avant de
faire valoir la lettre de nomination secrète d'Umesh Chandra ? Autant de
questions qui resteront sans doute à jamais sans réponses.
En désignant son fils, Babuji stipulait qu'il deviendrait
président de la Shri Ram Chandra Mission de Shahjahanpur et représentant
spirituel en droite ligne de succession. Dans son courrier d'accusation, il
précisait qu'il serait secondé dans sa tâche par KC Narayana, SP Srivastava et
deux autres disciples. Mais Umesh Chandra cède provisoirement sa place à
Srivastava, nouveau président élu et non pas désigné, pour éviter la
dislocation de l'organisation. Ce dernier siège donc à Shahjahanpur et
s'attelle à la publication du journal de Babuji.
Rajagopalachari fait sécession, rassemble un autre comité à
Hyderabad qui le désigne président, puis il siège à l'ashram de Chennai dans le
sud de l'Inde, et parcourt le monde en quête d'appuis. Narayana reste fidèle à
la demande de Babuji de 1979 et trahit celle de septembre 82, il rallie
Rajagopalachari et refuse de seconder Umesh Chandra. C'est ensuite au tour de
Sarnad de rejoindre le clan de Rajagopalachari, interrompant ainsi la diffusion
de la circulaire de nomination d'Umesh. Rajagopalachari, quant à lui, contacte
les précepteurs nommés par Babuji, leur donnant l'ordre de le reconnaître
président, faute de quoi il les démet de leur fonction.
En Europe, certains disciples de Babuji complètement égarés
suivent André Poray, tandis que débute une longue bataille juridique entre
Umesh Chandra Saxena et Parthasarathi Rajagopalachari, pour la présidence de la
Shri Ram Chandra Mission et le contrôle de l'ashram de Shahjahanpur.
Quelques liens
- [Une
succession bien peu spirituelle] - [Les
parties en présence] : [Kasturi]
- [Varadachari
et Narayana] - [Les
enfants de Babuji], …
Le Sahaj Marg à
la conquête du monde (1984-2004)
Parthasarathi Rajagopalachari, surnommé Chari ou plus
affectueusement Chariji par ses disciples, est en quête d'une légitimité qui
lui manque. Il connaît bien la culture occidentale et la maîtrise parfaitement.
Diplômé d'une licence scientifique, il a séjourné deux ans en Yougoslavie puis
commencé à travailler dans l'ingénierie chimique. Rapidement, il a intégré le
conglomérat industriel indien TTK & Co de Krishnamachari, d'où il dirige sa
filiale Indian Textile Paper Tube jusqu'à sa retraite en 1985. Son travail l'a
ainsi amené à parcourir le monde à de nombreuses reprises, représentant son
pays lors d'une Conférence internationale sur les normes ISO en Suisse entre
autres. Habile chef d'entreprise, il sait parfaitement diriger les hommes et
gérer ses affaires.
Sans cesse en voyage, il parcourt tous les continents,
faisant de l'Occident sa tête de pont. Il courtise ses disciples et ils sont
vite subjugués par cet homme. Ils le trouvent charismatique et doté d'un regard
étrange, à la fois pénétrant et troublant, en un mot fascinant. Ils le suivent
partout, se pressent à ses pieds, lui demandent son avis sur tout et n'importe
quoi et affichent son portrait chez eux. Les germes du culte de la personnalité
sont tous là, il va savamment les exploiter pour renforcer son pouvoir
d'attraction et la dépendance de ses disciples qui se transforment
progressivement en adeptes asservis.
Il modifie la pratique spirituelle, sa définition et son
histoire pour qu'elles répondent mieux à ses besoins. Une fois la pratique
codifiée et ritualisée, la légende instaurée et le produit spirituel bien
standardisé, la marque Sahaj Marg™ est déposée à l'Agence américaine du Département
du commerce (U.S. Patent & Trademark Office) le 29 juillet 1997. Pour
couronner le tout, les statuts de la SRCM, société californienne, sont déposés
dans la foulée.
Rajagopalachari nomme des précepteurs à tour de bras, non
plus sur leur profil spirituel mais en fonction de leur ambition et de leur
arrivisme. Il pratique alors un prosélytisme débridé, leur demandant de
recruter sans cesse de nouveaux adeptes. Selon Babuji, l'objectif était
d'atteindre la taille critique nécessaire au basculement de l'humanité dans la
spiritualité. Il galvanise donc ses troupes de précepteurs après les avoir
préalablement culpabilisées pour leurs manques de résultats. Ils doivent faire
du chiffre, toujours plus de chiffre, rien que du chiffre. Les précepteurs
sombrent alors dans l'angoisse de déplaire au maître, de ne jamais en faire
suffisamment pour mériter son affection. Un mal-être permanent qu'il entretient
soigneusement.
La stratégie de séduction des Occidentaux utilisée par
Rajagopalachari ainsi que ses méthodes de management s'avèrent payantes si l'on
en croit les chiffres avancés par les uns et les autres. Lalaji avait 100 à 200
disciples, Babuji environ 3 000 et 180 précepteurs. Rajagopalachari porte
ce nombre à 20 000 en 1991, 50 à 55 000 vers 1995-97 et 75 000 en
2000 avec environ 1 500 précepteurs. De nombreux centres sont ouverts au
Danemark, en France et en Suisse, au Canada et aux Etats-Unis, en Afrique du
sud, en Australie, en Malaisie et à Singapour ou à Dubaï.
Fort de son succès occidental, Rajagopalachari revient donc
tout puissant en Inde en 1999 pour fêter le centenaire de la naissance de
Babuji. Le 30 avril, il inaugure le Babuji Memorial Ashram, à Manappakam dans
la banlieue de Chennai, un ashram de cinq hectares qui peut accueillir 13 000
personnes à l'intérieur de son hall de méditation.
De son côté, la Shri Ram Chandra Mission de Shahjahanpur n'a
pas connu le même succès. Elu en 84 puis réélu en 90, Srivastava a publié la
seconde partie du journal de Babuji (mai 44 à juin 55) en trois volumes qui
paraissent de 1987 à 89. En 1994, Umesh Chandra Saxena a été élu à la place de
Srivastava, mais rapidement il ne fait plus l'unanimité. Il ne travaille pas,
utilise l'argent de la Mission pour soutenir le train de vie de sa famille et
invite des politiciens véreux pour des fêtes tapageuses. Raghavendra Rao et
Srivastava prennent leurs distances, de même qu'André Poray en France.
Les défections n'ont pas épargné non plus le clan de
Rajagopalachari. KC Narayana, qui avait repris la tête du Sahaj Marg Research
Institute créé par son père, abandonne son poste en 1991 pour fonder
l'Institute of Sri Ramchandra Consciousness (ISRC) à Hyderabad. Il reproche à
Rajagopalachari de laisser se développer le culte de la personnalité et se
refuse à lui reconnaître le titre de représentant spirituel de Babuji. Kasturi
Chaturvedi dit à peu près la même chose lors d'un discours mémorable le 30
avril 95 devant les adeptes de Rajagopalachari assemblés à Chennai. N'ayant
jamais joué de rôle administratif, elle prend encore un peu plus de distances
et se retire à Lucknow.
En réalité, Rajagopalachari n'a jamais été complètement
absent de son pays, mais il s'est cantonné dans son fief du sud à Chennai. Pour
asseoir sa légitimité, il fait figurer sur la liste de ses précepteurs des
célébrités comme Kasturi ou le petit-fils de Lalaji, Dinesh Kumar Saxena, avec
ou sans leur consentement. Il développe des relations fort utiles avec des
personnalités indiennes de poids. Il intègre à son propre comité de travail des
représentants de la justice, des fonctionnaires de police et des entrepreneurs.
Fort de ses appuis intérieurs et de l'argent qui lui vient
de ses troupes occidentales, il n'hésite pas à reprendre de force des ashrams
tenus par ses adversaires. Ainsi dès 1984-85, ses sbires s'emparent des ashrams
de Visakhapatnam, Nellore et Vadodara. En 88, c'est au tour de l'ashram
d'Allahabad puis en 91 de Delhi et Moradabad, jusqu'à une première tentative
avortée à Shahjahanpur même en 97.
Si l'on en croit le principal intéressé, le retour de
Parthasarathi Rajagopalachari en Inde connaît un succès foudroyant et est
couronné par une victoire à plate couture sur son organisation rivale, la Shri
Ram Chandra Mission de Shahjahanpur. En 2003, il annonce que le nombre de ses
disciples a été multiplié par trois en trois ans. De 75 000 en 2000, il
serait passé à 200 ou 300 000 dès 2003-04.
Quelques liens
Le Sahaj MargTM,
multinationale spirite et apocalyptique (2005-14)
Au
crépuscule d'une multinationale parvenue à son apogée
Parthasarathi Rajagopalachari réunit facilement plus de 50 000
personnes lors des grandes cérémonies annuelles qu'il organise pour fêter son
anniversaire. Il y a des pratiquants réguliers, des cotisants et des
sympathisants. Avec cette approche, on obtient une très large fourchette de
71 000 pratiquants à 260 000 sympathisants à travers le monde. Tout
cela pour un peu plus de 3 000 précepteurs…
Le Sahaj Marg™ de Rajagopalachari, c'est aussi un petit
empire foncier, immobilier et financier. En 1997, Umesh Chandra Saxena estimait
son patrimoine à quelques 200 millions d’euros quand elle déclarait 55 000
adeptes. Si le patrimoine avait suivi la même évolution que les effectifs, on
frôlerait aujourd’hui le milliard. Des dizaines d'ashrams, des centres de
retraite, un institut de recherche et de formation, une école internationale,
une marque internationale … L'organisation qui gère cette multinationale dans
la plus grande opacité est composée de 5 fondations créées entre 1994 et 2012
en Suisse, aux Etats-Unis, en Inde, à Dubaï et Hong Kong. Auxquelles viennent
s'ajouter une association mère (SRCM) et une vingtaine d’associations
nationales satellites, 2 sociétés pour la gestion de l’Omega School et un trust
pour la vente des publications.
Grisé par son pouvoir, Rajagopalachari en use et en abuse
sans limites. Ainsi en 2003, ses sbires essaient à nouveau de s'emparer de
l'ashram de Shahjahanpur seulement quatre jours après le décès d'Umesh Chandra
Saxena. Ils renouvellent leur tentative avec succès le 2 avril 2006 et
s'emparent aussi de l'ashram de Raichur après le décès de Raghavendra Rao.
Rajagopalachari se rend lui-même à Shahjahanpur en octobre 2007 pour marquer sa
victoire symbolique. Autoproclamé seul maître vivant du Sahaj Marg mondial, il
impose sa volonté aux courants alternatifs aussi bien qu'à ses propres adeptes.
Repoussant toutes limites, il ne demande plus à ses adeptes
que d'obéir et servir. En 2005, faisant appel à leur seule confiance, il lance
une campagne de souscriptions de 250 € par adepte pour un livre dont le contenu
n'est pas divulgué. En 2007, la souscription passe à 1200 dollars USD pour un
cadeau tout aussi secret… Oubliés les 10 commandements de Babuji, le livre
« Whispers from the Brighter World » devient la nouvelle Bible du
Sahaj margTM. Produit du spiritisme entre une médium française et un
Babuji depuis longtemps décédé, cette nouvelle religion promet à l’humanité une
apocalypse mondiale. Elle promet aussi aux meilleurs de ses adeptes que leurs
enfants constitueront une nouvelle race, une élite chargée de régénérer un
Nouveau monde spirituel à venir.
Fort de son patrimoine et de son pouvoir sur les hommes,
Chari est aussi parti à la recherche de la reconnaissance extérieure qui lui
fait défaut pour obtenir une certaine respectabilité. Pour ce faire, il flirte
avec les Nations unies sur les thématiques humanitaires et éducatives. Côté
humanitaire, il ouvre quelques ashrams indiens pour prodiguer des soins
gratuits ou distribuer de la nourriture, les centres de lumière. Côté
éducation, à partir d'un travail élaboré par son Institut de recherche, il
diffuse les valeurs spirituelles du Sahaj Marg (VBSE) dans une centaine
d'écoles indiennes puis fonde en 2005 sa propre école, la Lalaji Memorial Omega
International School (LMOIS).
La même année, son organisation s'associe au Département de
l'information de l'ONU (UNDPI). En 2009, la SRCM organise une compétition
nationale de composition écrite dans toutes les écoles indiennes en
collaboration avec le Centre d'information des Nations unies pour l'Inde et le
Bhoutan (UNIC), à l'occasion de la journée internationale de la jeunesse du 12
août. Cette action, entreprise par la seule SRCM depuis 1989, aurait mobilisé
près de 75 000 enfants et jeunes participants de 10 à 24 ans en 2008.
A Chari, tout
sourit ! Sahaj marg et SRCM sont à leur apogée. Tout lui sourit, mais le
déclin pointe son nez…
Depuis Dubaï en octobre 2008, Chari décrète soudain l'austérité
financière et gèle tous les projets d'avenir. En janvier 2009, il déclare qu'un
cancer ronge le Sahaj marg de l'intérieur et que son organisation est menacée
de désintégration. L'indiscipline règne partout, il y a des scissions entre
communautés, des centres dissidents qui ignorent la Mission. Bref, il fait des
cauchemars où il voit la SRCM se désintégrer en 240 petites missions. Son
successeur désigné Ajay Kumar Bhatter démissionne en 2010. Acculé, Chari en
nomme un nouveau en 2011 et annonce sa démission à son profit le 15 août 2012
dans un gigantesque bhandara spécial…
Réalité, paranoïa ou bien sénilité ? Crise financière, crise
morale, crise d'ego ? C'est en tous les cas une atmosphère de fin de règne…
En effet, Parthasarathi Rajagopalachari vieillit à son tour.
Il a fêté ses 85 ans en 2012, désigné des successeurs pour étouffer les conflits
internes. Mais ce n'est pas pour autant l'entente cordiale au sommet de la
hiérarchie. Tout va bien tant qu'il est là, mais demain ? Ses opportunistes
lieutenants attendent leur heure. Son fils unique PR Krishna le richissime
héritier et ses petits-enfants Barghav et Madhuri, son dernier successeur
désigné Kamlesh Desaibhay Patel, Santosh Khanjee l'éminence grise ou bien
encore AP Durai et US Bajpai ses hommes de mains, tous fourbissent leurs armes.
Parmi les adeptes aussi, tout ne va pas bien. En 2005, il a
fini par déclencher des réactions à force de toujours réclamer plus d'argent.
Un livre vendu 250 € pièce, des ventes aux enchères organisées pendant les
séances de méditation collective lors des rassemblements internationaux de
Vrads Sande au Danemark et de Lignano en Italie, c'en est trop. En janvier
suivant, ne pouvant s'exprimer librement en interne, une adepte suisse
désespérée ouvre sur le web un blog intitulé « Pour que vive le Sahaj
Marg, débarrassé des dérives de la Shri Ram Chandra Mission », bientôt
suivie par d'autres. Les mythes qu'il avait construits sont dénoncés les uns
après les autres.
En janvier 2007, Navneet Kumar Saxena arrive à son tour sur
le web. Petit-fils de Babuji et président de la Mission de Shahjahanpur, il
informe que la bataille juridique engagée par son père contre Rajagopalachari
n'est toujours pas clause et l’accuse, documents officiels à l'appui. Quand il
jette l’éponge et se tait, c’est au tour d’un autre petit-fils de Babuji,
Sharad Chandra Saxena, de prendre la relève.
Des disciples de Raghavendra Rao et de Kasturi Chaturvedi
ouvrent des blogs et accusent eux aussi. Dinesh Kumar Saxena, petit-fils de
Lalaji, crée un site web ; KC Narayana, le fils du docteur Varadachari,
personnalise le sien ; SP Srivastava crée une association… En France et au
Canada, des gens qui avaient suivi André Poray ou Kasturi dévoilent sur le web
qu'il existe un peu partout des communautés indépendantes de disciples fidèles
à l'enseignement de Babuji, toujours bien vivantes aujourd'hui.
Chari s’est imposé comme le patron incontournable du Sahaj
marg et l’a développé au-delà de toute attente. Les parts de marché du Sahaj marg
sont énormes mais elles seront bientôt à prendre. Tout le monde s'agite,
jusqu'à dire et faire n'importe quoi. Comme cette personne restée anonyme qui a
proféré des accusations de viol, d'inceste et de pédophilie sans que l'on sache
précisément quel leader du Sahaj marg était incriminé. Comme une médium
française anonyme délirant dans les jardins du Babuji Memorial Ashram sans que
personne ne l’arrête, démolissant un couple au passage et n’hésitant pas à
s’ériger comme la représentante spirituelle de Babuji tout en prédisant pour
2010 l’apocalypse nucléaire entre la Chine et l’Europe, où le Royaume-Uni
serait totalement détruit…
Ce n’est que le début, et c’est loin d’être fini ! Dans
cette atmosphère délétère et apocalyptique, toutes les hypothèses les plus
folles sont envisageables. La seule certitude est que le Sahaj marg et la SRCM
n’ont strictement plus rien à voir de près ou de loin avec la spiritualité, si
tant est que ce fut le cas un jour…
Quelques liens
- [La
multinationale] - [Son
importance] - [Whispers]
- [Omega
school ] - [VBSE]
- [Nations
unies] - [Les
prétendants à la succession]
Alexis
3 commentaires:
Elodie et Alexis...
J'ai reçu ce commentaire de Michael, ex-précpteur de SRCM (de Chari), et membre du "Publishing Committee" aux USA ...
Don...
voire l'article içi (en anglais):
http://4d-don.blogspot.ca/2014/04/the-epic-tale-of-sahaj-marg.html
ou içi, pour le "commentaires" ...
https://www.blogger.com/comment.g?blogID=18629795&postID=3789702842582166733&isPopup=true
Blogger Michael said...
Alexis,
This represents a tremendous amount of research. Impressive! The only actual inaccuracy I can find from my personal experience, is the fact that PR smoked Dunhill cigarettes, which are British not American.
Another area not so emphasized in this account, with the exception of the Whispers book legacy, is the early establishment of the "Publishing Committee", of which I was a member of in the early days. PR established this committee at the very beginning to create a legacy of writings. Most of these early books were simply transcriptions of his talks. He did very little actual writing, however, the sheer volume of books produced very quickly overwhelmed the original SRCM library which would take up no more than a third of a meter on a bookshelf.
In 2006, more than a decade after my departure from SRCM, I took up the task of documenting my historical experiences as accurately and as dispassionately as possible, from my introduction to SRCM in 1979 through my departure in 1990.
I spent some cursory effort to explore the SRCM history. Your historical research is far more extensive than anything I could have attempted - And your documentation of the evolution of SRCM since 1984 to the current day is extremely thorough and enlightening.
Some would say that SRCM is a third class cult - minor in comparison to the cults of Sung Yung Moon, Ching Hai, to name a few. I would argue however that your efforts to document SRCM's history is important, as it demonstrates the age old process that creates spiritual/religious organizations and their resulting transformation into cults, which are used influence and control the masses. This process can be found in every religious and spiritual organization. A similar process is used in politics to establish governments. Religious organizations have always been the right hand of politics. This process is the very foundation of how power is established in the world and how populations are controlled and manipulated.
Christianity's history has a parallel to SRCM. Decades after Jesus lived and died, a volume of written work was created to establish a legacy. 200 years after his death, the Roman government recognizes the potential power the Christian belief system can impose on the masses and establishes the Roman Catholic Church. Committees were created determine what literature was officially adopted. Armies of scribes were dispatched to "translate" texts, insuring that consistency with the official story is kept in order. Opposition to the Mother Church resulted in splinter groups which created a patchwork of Churches. Sound familiar?
The SRCM history is a recent example of this process. Fresh in our collective memories, we can all witness this process of how political, religious and spiritual organizations are formed to become the fabric of Hierarchies and Power. They are formed for the sole purpose of centralizing power to control the population. It is a tried and true formula that is repeated again and again throughout history.
My conclusion: The moment an organization is created in the name of spirituality, spirituality is immediately lost. True Spirituality cannot be contained in any organization.
Thank you Alexis for your continuing efforts!
With Love,
Michael
Alexis ...
Il y a des commentaires addressés à toi (Ma traduction de ton article: "Epic Tale of Sahaj Marg") sur mom blog:
http://4d-don.blogspot.ca/2014/04/the-epic-tale-of-sahaj-marg.html
ou:
https://www.blogger.com/comment.g?blogID=18629795&postID=3789702842582166733&isPopup=true
Merci...
Don...
@ Don & tous,
On ne me pose pas vraiment de questions, je n’ai donc pas grand-chose à répondre…
Je vous fais part d’une lecture qu’on m’a signalée dans Constant Remembrance de janvier 2014 (volume XXX, N°1, Grow Together in Sahaj Marg), où Chari dialogue avec les 3 groupes français à distance.
“ (…)So, parents, please guide your children properly and expose them to Sahaj Marg. Don’t leave them at home and go for meditation. They must be part of your life. That way the children grow very fast. I have here children in the Omega School clamouring to become abhyasis even when they are twelve. We have to create that sort of longing in children so that they become, naturally, abhyasis. (…)”
Traduction : Aussi, vous parents, s'il vous plaît guidez vos enfants correctement et exposez les au Sahaj Marg. Ne les laissez pas à la maison pour aller méditer. Ils doivent faire partie de votre vie. De cette façon, les enfants grandissent très vite. J'ai ici des enfants de l'école Omega qui réclament de devenir abhyasis alors même qu’ils ont douze ans. Nous devons créer ce genre de désir chez les enfants afin qu'ils deviennent, naturellement, abhyasis.
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